• Commentaires de la publication :6 commentaires
  • Temps de lecture :13 min de lecture

Qu’il est dur à écrire cet article. Il a mûri dans ma petite tête depuis bientôt deux ans. Peut-être plus. 36 ans peut-être. C’est pas un article rigolo. Au départ je voulais vous parler de la sexualité et des relations sexuelles vu de la place d’un handicapé. Vous voyez c’est pas drôle. Mais voilà, je ne me sens pas handicapé.

D’ailleurs il faudrait s’interroger chaque fois qu’on dit « les handicapé.e.s ». C’est comme les Femmes ? Les Pédés ? Les cons ? Les communistes ? Bon en fait ça on le dit plus, c’est une espèce disparue …

Touch me ! Je mords pas !

…Sauf si vous le demandez

Avant propos :Je ne peux pas, ni n’ai envie de vous parler de la sexualité chez qui que ce soit. Alors je vais utiliser les mots pour vous parler de maux, d’un qui nous touche tous. L’isolement. 

Avant les relations sexuelles, il y a les relations humaines. Jamais simples. Encore moins simples quand sous toutes tes coutures tu transpires la différence l’a non normalité.

Evoquer, parler sentiments, amours et relations humaines plutôt que faire un récit vindicatif ou chirurgical de ce qui est la vie. C’est ça les relations humaines de l’évocation, du souffle. Toucher et accepter d’être touché. Dans tous les sens du terme le mot (maux) touché.

Au passage si les relations sexuelles viennent avant les relations humaines, c’est très souvent soit du viol soit de la prostitution.

Ecoutez là ma Java sans joie

Alors ce n’est que ma vie, mon ressenti. La version 0% de matière « grâce » de la vie d’un Homme qui ne peut pas rentrer dans un moule. D’un homme qui a longtemps cru qu’il ne pouvait pas rentrer dans une moule d’ailleurs. Parce qu’il tremblait trop, parce qu’il était difforme, parce que son père, son frère, ses oncles ont caché leur peine et leur souffrance sur sa condition à travers des moqueries et de l’ironie.

Le ressenti mis en musique d’un homo erectus couché qui s’est longtemps senti sous humain parce qu »il marchait à 4 pattes, comme les animaux, dès que vous aviez le dos tourné. Dès qu’il était enfin seul.

Une des histoires pas gracieuses de ceux qui vous font peur. Celui dont les mères disent « Oh Renaud c’est un amour ! Il est adorable ! ». Et quand leur tendre enfant leur dit : « Maman, mon chéri c’est Renaud. » la réponse est systématiquement « Ha mais non ! C’est pas possible ça, pense à ton avenir ma fille ! Et puis il parle fort ! et puis … ». La phrase ne ce finit jamais.

Ne me souriez plus. Je ne veux plus rêver.

Voilà c’est fini, foutez moi la paix. Arrêtez de me parler d’amour ce n’est jamais vrai.

Elle était magnifique. Des yeux sublimes. J’aimais la regarder rire. Elle dansait assise à la table du café. Ses yeux grands ouverts essayaient de m’avaler. Elle riait, un sourire superbe, son sweat glissait doucement de son épaule.

Dénuder, la voir. Dénuder, l’aimer. Juste me blottir contre elle, contre son sourire. Elle me parlait à moi, rien qu’à moi, directement sans passer au travers. Magnifique stupidité. Il fallait recommander une bière.

Serveuse, deux gommés s’il vous plait !

Elle riait, des dents blanches, ses petits sourires malicieux, ses yeux bleus pleins de soleil et d’étoiles en même temps. Vite boire un peu de gommé.

Ne pas l’oublier.

Elle parlait de tout et de rien, une fossette pour marquer encore plus la beauté de son visage. Elle me parlait, elle me parlait et même elle m’écoutait. Sur le paquet de clope posé on s’effleurait. Caresse légère, bref souvenir, trop bref.

C’était quand la dernière fois ?

Ma mère n’aimait pas toucher, n’aimait pas me toucher. Elle serrait fort ma main dans la sienne pour que je la suive ou pour que je me taise.

Ne pas se faire remarquer, ne pas me remarquer.

Elle serrait ma main pour que je m’arrête de pleurer quand on marchait. Vite, toujours trop vite, il ne fallait pas traîner, pas être remarqué.

Il y avait le coiffeur, j’adorais ! Elle sentait bon, elle me massait les cheveux avec simplicité, comme on le fait à un enfant. C’était de la pure douceur. Un jour elle est partie, un imbécile a pris sa place. Il fallait « bien les essorer ces cheveux là » pour ensuite « bien les couper ». Je peux pas blairer les coiffeurs.

Il y avait la nurse, elle était minutieuse, ne parlait pas beaucoup et sentait l’eau oxygénée et un peu la javel aussi. Elle me forçait à manger.

J’ai pas faim ! C’est pas grave, même vous il faut manger et puis vous aimez ça le roquefort, non ? Oui mais c’est le matin là !

Papa il m’amenait des vrais p’tits déjeuners avec des croissants et des pains aux raisins !

Oui mais votre papa il n’est pas là.

Il est pas là, il ne l’a jamais été. Les petits déjeuners c’est juste ce qu’il aimait.

3 mois 6 jours et 16 heures, voilà. Ça fait 3 mois 6 jours et 16 heures que je lis ce Picsou magazine. C’est son dernier cadeau, il a l’habitude de noter la date de tout ce qu’il fait. 3 mois 6 jours et 16 heures.

Il fait beau dehors, le vent s’est levé. Il faut que je demande à la nurse si elle veut bien m’accompagner.

Elle rit encore plus fort.

Elle vient de me trouver « trop drôle ». Je lui plais. En tout cas c’est ce que son corps me dit. Sourires, inclinaison de la tête, buste en avant, poitrine légèrement trop gonflée. Me calmer, vite me calmer, respirer. Les jambes sont fragiles, les émotions les font trembler. Ne pas me lever. Encore un petit gommé ?

Laeti elle s’appelait. Elle était mi lutin mi feu follet. Elle riait, elle dansait, presque tout le temps. Ne pas trop la regarder elle va fuir. C’est souvent comme ça, quand tu regardes trop quelqu’un il prend peur et il s’en va, il part ailleurs. Comme si les yeux, à force de convoiter, finissait par détruire.

Je parle à mon voisin. Elle essaye de revenir devant moi, elle rit, je sous-ris. Petite souris, ne pas la manger. Ses épaules sont presque totalement dénudées. Dans le coeur l’envie de l’embrasser, de partir danser avec elle, de la suivre et de la guider. J’ai peur, j’ai envie, j’ai honte, je ne peux pas la toucher. Trop belle, trop fragile.

Mes pattes d’animal vont la casser.

C’est ça, ne pas la casser. Petit j’ai cassé le coeur de ma mère. Elle était danseuse fantasmée et expert comptable le jour. Moi, plutôt quasimodo désarticulé ou comme elle disait, Lion ascendant poubelle… Ma Baleine, elle m’appelait.

Pour mes oncles j’étais le flamand rose. J’aime bien les surnoms ça rime avec con. Elle me montrait ses chorégraphies. Elle essayait de m’entraîner. Je restais assis, immobile, « stupidifié » !

Laeti riait, Laeti buvait, Laeti me prit la main.

Tout s’est arrêté. Elle me prenait la main, elle osait. Dans le troquet plus rien ne bougeait, garder cet instant à jamais. Ne plus changer, ne plus parler, ne plus espérer. C’était là. Enfin ! C’était là !

La serveuse est arrivée avec 4 gommés, le patron mettait sa tournée. Le bonheur ça énerve ou ça soulage, le patron était du genre à se soulager.

Aller faire pipi et rester assis. Se faire aider pour monter sur les WC. Nurse ça l’amusait. Elle aussi riait. Elle m’accompagnait, me demandait si elle durcissait quand je faisais pipi. Et si le fait d’avoir été opéré c’était pas gênant ? « Ben vous comprenez, nous on sait pas tout ça ». Nurse, tout l’amusait. Moi j’étais juste gêné.

Alors comment il va ce matin ? Vous n’avez pas trop galéré pour le lever ? Il a bien dormi ? Ne pas écouter, je m’en fous, je pourrais bientôt m’enfuir, partir. Ne plus vous voir chuchoter dans mon dos, ne plus vous voir me fuir, m’éviter et encore moins vous attrister. C’est sûr, ça va finir bientôt. C’est sûr, tout a une fin, c’est mathématique. Tout est cycle, ça aussi c’est mathématique. Si tout est cycle, sûr que ça va bientôt finir.

Laeti aussi va bientôt partir, si tout est cycle c’est logique.

Si tout est cycle moi je vais courir et elle, elle va partir. Tout est cycle, tout est cycle.

On a fini les deux derniers gommés. On a fini par se rapprocher. Je pouvais sentir ses lèvres qui allaient m’embrasser. Je pouvais sentir sa peau qui me caressait.

Je ne dormirais plus ! Comme ça je la verrais tout le temps ! Je ne dormirais plus pour avoir encore plus de temps pour l’aimer avant qu’elle s’en aille et que je me mette à courir.

Elle m’aimait je le sentais, c’était enfin là.

Elle m’aimait mais voilà, qui dit gommés dit envie de pisser. Je me suis levé. Je n’ai même pas pensé, je n’ai pas fait attention, réflexe mécanique d’un être pathétique. Je me suis simplement levé pour aller pisser.

Elle est partie. C’est déjà fini.

Seul.

Non ne croit pas fillette …

Voilà cet article est fini. Je me rends compte à quel point toute cette vie est à la fois encore ici et en même temps plus du tout. Cet enfant qui souffrait chante encore sa chanson pas drôle, elle me berce. Elle secoue mon coeur quand je vous vois ignorer, préjuger, souvent de bonne foi, sur un Autre. Un pauvre clodo, un handicapé, un roumain, un paumé, un rebeu, un flic, un blanc, une fille ou une tantine comme dit Damien qu’est pédé comme une banquise.

Mais ne croyez pas que ma vie soit tristesse. J’ai rencontré deux perles, peut-être rares, mais nous nous sommes trouvés en tout cas.

L’une fut ma première femme, celle qui brisa les 21 ans d’isolement et me fit aimer la solitude, aimer la mort. Elle est ma meilleure Amie, ma Soeur et un rire éternel de tristesse dans mon coeur.

La seconde vous la connaissez. Elle est ma canicule, mon cataclysme merveilleux, ma colère et mon rire. Vous admirez sa Lune et moi, je contemple les étoiles dans son coeur. Elle est très con, elle a plein de pets au casque. Petite fille extra terrestre, elle m’apprend à moins voir, à aimer la Vie et à m’envoler … assis sur une chaise.

Pour finir avec une note de musique je vais citer le beau, le grand Jacques … Higelin of course :

Ami.e.s je vous remercie de m’avoir si bien reçu !
Cocher lugubre et bossu, déposez-moi au manoir
Et lâchez ce crucifix ! Décrochez-moi ces gousses d’ail, qui déshonorent mon portail ! Et me chercher sans retard,
l’Am(i)e qui soigne et guérit, la Folie qui m’accompagne et jamais ne m’a trahi …. Champagne !

11 - touch-me-x.jpg
Vous avez aimé ? Partagez !

Cet article a 6 commentaires

  1. Françoise COLLIOT

    Charlie m’avait prévenue, pourtant, j’ai la gorge serrée… comment peut-on ne voir qu’un handicapé quand on a la chance de croiser ta route ?
    Certes, handicapé, tu l’es, mais… c’est accessoire… je veux dire, tu es un homme… un homme tout simplement… un homme volcanique, un homme excessif, mais c’est justement ce qui me fait aimer les hommes (et quand j’écris « les hommes », j’embrasse les femmes, comme on dit)…
    Tu as taquiné Charlie à ce propos quand nous nous sommes rencontrés, tu fumais une clope et tu lui as dit que tu ne pouvais pas marcher en même temps… elle l’avait oublié… j’aurais fait pareil dans la même situation…
    Tu peux nous traiter de blondes, mais dans ce cas précis, être blonde signifie juste voir l’homme au-delà de son enveloppe corporelle.
    Je voudrais te serrer dans mes bras, mon petit frère en douleur.

    1. Charlie F

      lalalalalalalalalalalala (tu mets l’air que tu veux là dessus, moi j ai les schtroumpfs présentement) gros bisous

  2. Eve de Candaulie

    Et ben voilà, c’est bien écrit cette histoire. Ton crescendo est très émouvant. Ton ton est juste, authentique et le fond interpellant. Il est très bien cet article mûrement mûri pour sortir hors les murs de nos croyances sur l’Autre, la norme.
    Merci Renaud d’avoir écrit avec ton vécu à toi. Champagne!

    1. Charlie F

      oh ben merci ! apres je me suis sévèrement brimé pour rester dans le cadre du handicap et de la relation humain /humain, aucune envie de faire du tire larme sur l’aspect medical et la déshumanisation qui en est souvent le corollaire. A part l’effet de choc je suis de moins en moins sur que ca tienne et que ca influe sur la durée. Mais en y pensant ca peut être tres rigolo d’ecrire une « nouvelle » erotique depuis ce point de vue …. à suivre 🙂
      Renaud

      1. Eve de Candaulie

        Dejà tu parles de la dureté d’une situation réelle, de comment ça se passe dans ta tête, dans ta chair. Moi ça me fait réfléchir, envisager une réalité autre que celle que je perçois, c’est dejà ça.
        Le sujet de la différence (de l’altérité) revient sans cesse frapper à la porte de mon esprit. Si tu fais une nouvelle, je trouve ça intéressant de questionner celui qui rejette, celui qui ne veut pas voir, qui déshumanise et n’accepte pas que tous les êtres vivants (ou non d’ailleurs) sont égaux entre eux. Et puis je me demande quel a été ton parcours pour assoir ta fierté. Comment sortir de la colère envers le monde entier (qui est stérile), de la complaisance, et affirmer « je suis comme je suis »? Ton parcours mérite d’être conté

        1. Renaud

          Ha ben ça c’est cool, c’est un peu le seul but la dedans, donner à réfléchir sur ce qu’on croit être normal. D’ailleurs de mon point de vue en poussant les potards égotique au maximum Je suis normal et vous êtes hyper bizarres !!! D’abord vous marché de manière tristement verticale, même pas un petit chaloupé (sauf certain.e.s) et puis vous marchez sans cannes c’est hyper strange je trouve 🙂

          Pour ce qui est du rejet j ai un jour compris que ce n’etait qu une partie de nous même que nous rejetions, un nous possible qui nous fait peur, on peut l exprimer par de la colère, du désir (aussi) mais ce que nous voyons profondément ce n’est toujours que la projection d’un nous même craint ou désiré.
          Pour notre Ego, qui est 9.9 fois /10 au commande l’Autre n’existe pas il n’est qu’un reflet de nous.

          Énergétiquement c’est compréhensible les êtres humains, sont assez standardisé dans leur manière de réagir à environnement (l autre).
          Les formes sont très différentes mais le fond archaïque lui est assez simple. Et hélas c’est lui qui nous gère … La Peur …
          Pour ce qui est de mon parcours il a un interet moyen mis à part celui de dire c’est possible. Le chemin emprunté est toujours personnel. Ce qui est clair c’est que la colère après les autres s’appuyait sur un sentiment d’injustice et de colère envers la Vie, Dieu, l’Esprit, l’Energie (tu met le nom que tu veux) le hic c’est que d’être en colère apres la Vie c’est être en colère apres la Vie en soi …

          Après 32ans de combat contre soi même et la Vie en soi tu poses ton cul et fais le bilan (c’est jamais trop tard) la tu captes qu’à part créer de la souffrance (qui n’est pas de la douleur) ca ne t as rien apporté.
          Il me restait deux +1 solution :
          Détruire la Vie que je haissais pour son injustice … pas forcément assez de couilles pour sauter sous un train
          Me résigner et me mettre dans un fauteuil roulant à pleurer sur mon sort en étant un « pov handicapé » … trop d’ego pour accepter la résignation
          ou la 3 eme voie Accepter d’avoir été vaincu par Soi même, accepter que j’avais créer Ma Normalité et que ce que d’autres prennent pour une faiblesse n etait que le reflet de ma quete de Liberté qui a commencé des que j ai su marché (avant aussi peut être vu que je sautais du parc qu ils ont du rehausser de 1 mètre parce que je l escaladais)

          Pour finir ce trop long commentaire je te livre un phrase d’un de mes « mètres zaim(e) » qui prend tout son sens si on ose la vivre Totalement : Comment peut on avoir peur d’être ce qu on est puisqu on ne peut etre que ça …
          La peur de perdre, d etre seul, de ne pas etre aimer amène directement à une chose ne pas s’Aimer, donc à se cacher … sentiment d’isolement … Peur et la Peur mène à la colère, la colère à la souffrance la souffrance … à être con
          Voilà, et oui faut pas me poser des questions intelligentes 🙂
          Renaud

Laisser un commentaire

Rechercher sur ce site Type then hit enter to search